La signification exacte du mot ribâ est l’augmentation ou le plus. Ainsi défini, il est sans connotation morale ni idéologique. Il peut même être qualifié de licite (Halal) ou interdit (Haram). Dans le domaine de l’économie il désigne une forme d’accumulation qui, sans jugement de valeur et sans une visée éthique, reste recherche du plus sans limite ni fin. En particulier dans le domaine de la richesse et de l’argent, le ribâ trouve dans la nature humaine même ce qui justifie les attitudes et motivations pécuniaires. Du point de vu psychologique et morale, le ribâ peut désigner un désir du plus (en l’occurrence un désir de plus d’argent). Le ribâ est aussi, d’une certaine manière, une culture ou un (état d’)esprit qui caractérise notre mode de production de richesse : l’esprit du capitalisme est un ribâ. Or, le capitalisme c’est nous ! et l’esprit ribâ est notre : toujours plus de prospérité économique, voilà notre attitude la plus courante en fait.
Le ribâ qui peut déclencher lui-même la recherche d’encore plus (Coran 39/30), dans et à partir de ce qui nous ne possédons pas (la propriété des autres ou amoual annas) est la culture dominante dans le capitalisme. La finance est au cœur de l’économie, le prêt à intérêt est au cœur de la finance (Marx), on peut dire que le taux d’intérêt est lui-même désir de recherche de plus : il s’agit, du point de vue morale et éthique, d’une culture de ribâ (Thakafa rabawiyya).
La recherche du plus, sous forme d’intérêt ou de ribâ, qui se manifeste dans les biens et la monnaie est donc l’éthique qui domine encore notre système économique : le capitalisme. La capacité d’accumuler des capitaux, via le système d’intérêt composé, est caractéristique et fondamentale dans le capitalisme (Keynes).
L’éthique alternative est la zakah ! que dis-je ? Une zakah est comme recherche d’excellence et du plus mais d’un tout autre ordre et, pour tout dire en Islam, sa visée est la face de Dieu Lui même. Or dire zakah cela implique dépense et répartition de richesse entre les membres de la société des hommes. L’appel explicite à plus de zakah, comme pilier de l’Islam et devoir religieux pour un croyant, est aussi appel implicite à plus de richesse. Comment ? Du fait que la richesse est condition nécessaire qui permet la zakah : pour donner plus, il faut avoir plus. Mais ici la zakah ne peut être contaminée par la logique du plus. Le fondement moral et la visée éthique l’empêchent à travers des règles et normes formant ainsi une partie du cadre éthique dans lequel elle s’inscrit.
La visée éthique ou la morale de chaque personne fait appel à la croyance et à la foi : l’éthique zakah enveloppe la recherche du plus (ou le ribâ) : voilà la différence pour une éthique alternative. La logique du plus ou culture ribâ, n’a pas à envelopper toutes les pratiques et idées alternatives à caractère éthique mais elles devraient être enveloppées par la zakah. La zakah apparaît comme recherche d’excellence dont la visée est attachée à l’infini, en Islam la visée éthique est la Face de Dieu ; un Amour qui pousse à incarner le libre choix d’adoration. Dans le cadre des règles, normes et principes liés à la recherche dans l’acquisition et d’accumulation richesse, je cherche à maximiser le volume et la valeur, ayant la conviction profonde et la foi qu’il ne m’appartient ni biens ni même droit absolu d’user et d’abuser, je vise aussi, en cherchant l’excellence et la satisfaction de Dieu, à maximiser la redonner la zakah. Sadaqa, waqf et bien d’autres moyens sont aussi plus que des institutions destinés à la redistribution de richesse. La Zakah est donc une pratique religieuse et donc une croyance et un sincérité sont nécessaires.
Le ribâ comme concept, est beaucoup plus qu’une règle juridique négative d’interdiction, il est, dans son essence et du sens qu’on peut lui donner, liée à l’éthique. La zakah est plus qu’une institution et moyen de répartition de richesse en économie, elle contient l’essentiel, le cœur même d’un système : une éthique alternative au ribâ.
Il y a d’une par le ribâ, qui cherche lui-même à s’accumuler et se composer dans et à partir des biens des nos semblables, ou de ce que nous ne possédons pas en fait, et d’autre part la zakah dont la visé est un attachement à l’infini (la Face de Dieu en Islam) : voilà ce qu’il y a à comparer, deux éthiques différentes au sujet du sens ou de la visée, mais ne sont pas contradictoires. Reste à préciser les notions, analyser les liens et donner les implications en termes économiques. L’éthique zakah ne peut s’en passer de l’éthique ribâ, voilà l’énigme. Comment, en fait peut elle le contenir, sans l’anéantir ?
Il me semble possible de soutenir que le verset 39 de la sourat Arroum (Coran 39 :30) contient ce qui donne matière à réflexion au sujet de l’éthique qui caractérise notre capitalisme ; d’une éthique alternative et de ce qui fait la différence entre elles. Or les anciennes interprétations, exception faite de Saddi et Al Hassan, restent dans l’aspect du don intéressé (hibât et hadaya, ce qui par définition le ribâ halal) alors que les nouvelles ont à peine confirmé qu’il s’agit dans ce verset du ribâ objet de l’interdiction, comme il était dans la sourat 2 (Coran 275 :2). L’aspect éthique qui permet d’élargir le sens à partir du cadre ou contexte de l’analyse économique et de l’économie n’a pas été soulevé. Sans chercher à contredire une ancienne interprétation (qui n’a pas été en fait la seule mais la dominante), ni forcer le sens du verset pour qu’il s’adapte à une certaine vision, ni même inventer une herméneutique inconvenante, il semble possible d’aboutir à clarifier l’essence d’une éthique musulmane en matière économique. Si cette attitude face au sens des versets du Coran se qualifie de pragmatique alors qu’elle soit : comprendre le Coran à l’image du contexte ne devrait poser aucun problème, le sens de l’enseignement du Coran n’a pas à être figé. Là encore le cadre analytique du choix rationnel à partir de l’intérêt personnel ne sera pas objet de contestation radicale. De même pour des notions comme la propriété privée ou le marché. L’éthique Zakah ne nous semble ni radicale ni révolutionnaire, elle est humaine mais découle d’une foi en l’unicité divine. Quant au discours, il est possible de garder la forme exprimant certains objets de l’analyse en termes du calcul même dans la relation de l’individu avec des aspects qui relèvent de la religion. On ne compte pas allez jusqu’à l’adoption d’un économisme mais on ne trouve pas choquant de dire : j’ai intérêt à adorer Dieu, à avoir envie d’entrer au paradis, à faire un don…
Que les finances éthiques fournissent des alternatives dans notre système est une bonne chose, mais que du coté éthique elle-même des idées sur des éthiques alternatives commencent à émerger afin d’améliorer la situation dans le futur. Les musulmans peuvent participer plus et mieux en économie comme en culture et dans le politique (le vivre ensemble).
Par Moncef DRINE ( Diplômé en économie et finance internationale)